25-Timée, de l'Atlantide, PLATON
II- Etat et Réalité

L'Etat, aspirations...
Dépit
Eloges à Timée et à Critias

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L'Etat, aspiration

— Écoutez maintenant, à propos de l’État que j’ai décrit, quelle sorte de sentiment j’éprouve à son égard.

Mon sentiment est à peu près celui d’un homme qui, ayant vu de beaux êtres vivants, soit représentés en peinture, soit réellement en vie, mais en repos, se prendrait à désirer de les voir entrer en mouvement et se livrer aux exercices qui paraissent convenir à leurs corps.

Voilà précisément ce que j’éprouve à l’égard de l’État que j’ai dépeint.

J’aurais plaisir à entendre raconter que ces luttes que soutient un État, il les affronte contre d’autres États, en marchant noblement au combat et se comportant pendant la guerre d’une manière qui réponde à l’instruction et à l’éducation des citoyens, soit dans l’action sur les champs de bataille, soit dans les négociations avec les autres États.

Dépit

Or sur ce terrain, Critias et Hermocrate, je me rends bien compte que je ne serai jamais capable de louer dignement de tels hommes et une telle république.

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Et pour ce qui est de moi, il n’y a pas là de quoi s’étonner ; mais je m’imagine qu’il en est de même des poètes, aussi bien de ceux d’aujourd’hui que de ceux d’autrefois.

Ce n’est pas que je méprise le moins du monde la race des poètes ; mais il saute aux yeux que la tribu des imitateurs imitera très aisément et fort bien les choses au milieu desquelles elle a été élevée, et que ce qui est étranger à l’éducation qu’ils ont reçue est difficile à bien imiter par des actions, plus difficile encore par des discours.

Quant à l’espèce des sophistes, je la tiens pour très experte en plusieurs sortes de discours et en d’autres belles choses, mais j’ai peur qu’errant comme ils le font de ville en ville[19e20d] et n’ayant nulle part de domicile à eux, ils ne soient hors d’état de comprendre tout ce que font et disent des hommes à la fois philosophes et politiques, qui payent de leur personne à la guerre et dans les combats et discutent les affaires avec tout monde.

Eloges à Timée et à Critias

Reste l’espèce des gens comme vous, qui, par leur naturel et leur éducation, tiennent à la fois du philosophe et du politique.

Notre ami Timée, par exemple, qui est citoyen de la ville si bien policée de Locres en Italie, et qui dans son pays ne le cède à personne ni pour la fortune ni pour la naissance, a exercé les plus grandes charges et joui des plus grands honneurs dans sa patrie, et il s’est élevé de même au faîte de la philosophie dans toutes ses branches.

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Quant à Critias, nous savons tous ici qu’il n’est étranger à rien de ce qui nous occupe. Pour Hermocrate, de nombreux témoignages nous forcent à croire qu’il est, de par son naturel et son éducation, à la hauteur de toutes ces questions.

C’est en pensant à vos talents qu’hier, quand vous m’avez prié de vous exposer mes vues sur l’État, j’y ai consenti de grand coeur.

Je savais que personne ne serait plus capable que vous autres, si vous le vouliez, de poursuivre un pareil propos.

Car après avoir engagé la cité dans une guerre honorable, il n’y a que vous parmi les hommes de notre temps qui puissiez achever de lui donner tout ce qui lui convient.

Maintenant que j’ai traité la question dont vous m’aviez chargé, je vous prie à mon tour de traiter celle que je vous propose à présent. Après vous être concertés entre vous, vous êtes convenus d’un commun accord de reconnaître mon hospitalité en me rendant discours pour discours. J’ai fait toilette pour recevoir la vôtre et vous m’y voyez tout disposé.

Hermocrate

Sois sûr, Socrate, que, comme l’a dit notre ami Timée, nous y mettrons tout notre empressement et que nous n’alléguerons aucun prétexte pour te refuser. Dès hier même, en sortant d’ici, pour gagner la chambre où nous logeons chez Critias, nous avons, à peine arrivés, et même avant, tout le long de la route, réfléchi à ce que tu demandes. Critias nous a fait alors un récit reposant sur une ancienne tradition. Redis-le-lui, Critias, pour qu’il nous aide à juger si elle répond ou non à ce qu’il requiert de nous.

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Critias

C’est ce qu’il faut faire, si notre troisième compagnon, Timée, est aussi de cet avis.

Timée

Oui, j’en suis.[20d21d]

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